Biographie
Aline Kunding
Aline Kundig est avant tout une artiste libre qui entretient un rapport singulier tant au réel qu’à l’universel, via une photographie « poétique ». Dès ses débuts, elle alterne travail de commande et explorations personnelles qui se poursuivent au long cours dans un travail sans cesse « in progress ». Paris, Zurich puis Genève où elle pose finalement ses valises, elle s’invente une approche à travers ce qu’elle vit en direct.
Echappant aux classifications réductrices, Aline Kundig cultive un fécond paradoxe : d’une esthétique « photo » avec d’envoûtants noir et blanc au quasi kitch mortifère et saturé de couleurs, c’est un chassé-croisé entre séduction et dérangeante étrangeté. Utilisant toutes les ressources plastiques à sa disposition, elle s’extrait volontiers de sa technique et utilise textile, collage, installations ou assemblage de matériaux pour aborder des sujets aussi divers que la féminité, la religion, la mort, la colère ou l’enfance.
Portraits d’arbres
Dans la série photographique Portraits d’arbres, Aline Kundig adopte une approche romantique et universelle de la nature. Tout d’abord, elle est une artiste promeneuse qui médite dans les forêts et les champs, attribuant aux branches, aux troncs, aux racines, des vertus de guérison indispensables à l’équilibre du monde. Le travail actuel qu’elle mène sur ces « portraits d’arbres remarquables » est donc avant tout le choix opéré lors de ses déambulations. Il s’agit de trouver les spécimens et l’instant qui permettra l’irruption de l’invisible : le rapport que ces grands totems entretiennent avec l’universel, qui nous permet de les apprécier pour ce qu’ils sont vraiment : de véritables personnalités individuelles, et dans le même temps, les gardiens de notre temple. Pour cela, un protocole est respecté : nous sommes à la tombée de la nuit, un jour d’hiver où règne un silence apaisant, avec un ciel changeant dont le mouvement est aussi celui du frisson des branches. C’est à travers cette fascinante mise en scène où le noir et blanc triomphe que l’on aperçoit, passé l’émotion esthétique, le véritable portrait d’âme de l’arbre avec lequel, si l’on consent à considérer ces géants comme nos bergers, l’empathie et la reconnaissance deviennent possibles.
Texte par Aline Kunding
Restons-en là
C’est une histoire d’empreintes. Cette série s’inscrit dans les travaux autofictionnels d’Aline Kundig, photographe et plasticienne aux multiples facettes. Ici, elle croise trois univers et les fait se rapprocher en une troublante parabole sur la fragilité́ de l’amour et la puissance, parfois destructrice, des mots.
A l’origine, ses souvenirs lorsque, petite, dans les vieux bureaux de l’imprimerie de sa famille, on la hissait sur une chaise pour jouer avec les tampons « payé », « classé », etc. Puis ces mots d’adultes, tellement frappants, véritables extraits empoisonnés et réductions à la fois creuses et denses de l’évitement affectif : des morceaux de phrases lues ou entendues, en dichotomie totale avec la situation amoureuse. Enfin le contexte avec lequel Aline Kundig met ces mots en exergue.
Elle rassemble et compose. Dans un espace d’exposition, elle combine et propose une situation. Elle crée une chambre avec un lit et un bureau, dont elle se sert pour laisser ses effluves, ses énergies, son empreinte. Une chambre peuplée des pièces à conviction, d’indices déclencheurs : photographies grand format, vidéos, livres, dossiers classés contenant les souvenirs des unions passées, tampons sous cloche en verre, grande bâche masquant partiellement la scène, un trou pour scruter, évoquant le sténopé́.
PLANCHE CAHIER A4 Catalogue Expo Reston-en-la FINAL-Small - Dossier de Presse - AK - restonsenlà
LE REGARD DE...
Aline Kundig est une photographe plasticienne. Diplômée de l’école d’Yverdon, elle vit et travaille actuellement à Genève. Son parcours débute à l'âge de 16 ans par passion et l’amène au métier de photographe où elle commence par alterner travail de commande pour différents studios, magazines prestigieux jusqu’à une exploration personnelle qui lui fera parcourir des kilomètres pour ses projets.
Dans son travail, elle touche au singulier et à l'universel, s’invente une approche à travers ce qu’elle vit en direct parfois comme exutoire en construisant un pont entre sa vie et son art et d’autres fois pour raconter une histoire, un écho aux « mythologies individuelles ». Un léger survol de l'œuvre d'Aline Kundig, comme une plongée dans celle-ci d'ailleurs, met le corps en exergue, un corps imaginaire, symbolique, et réel. Une constance, toujours ouverte.
Faire corps, comme exposition et comme exploration, incorpore et diffuse ce rapport multiple aux corps au travers de Portrait d’arbres, série photographique (2019) et de Restons-en là, œuvre multidimensionnelle (installation-photographies-exposition, 2023).
Portrait d’arbres est une série photographique en noir et blanc qui met en scène différents types d’arbres aux formes atypiques et à l’allure imposante. Ils sont pris en plan plain pied sous un ciel d’hiver et une lumière artificielle.
Les nombreux voyages contemplatifs d’Aline Kundig l'ont menée aux forêts de Suisse, France, Madère et Sicile, où elle a pris soin de contempler d’un œil curieux et artistique la nature qui l'entoure. Adepte de la méditation, elle a su tirer dans ses clichés photographiques des bribes de poésie et un brin d’étrangeté marqué par le noir et blanc profond qui sublime ses jeux de lumières artificielles.
Aline Kundig relève différentes personnalités aux arbres qu’elle photographie, comme pour leur donner forme humaine. Par la visibilité du corps de l'arbre, elle nous suggère l’invisible.
Lorsqu’on regarde un arbre, la première chose qu’on perçoit est son tronc, ses branches feuillus s'étendant vers le ciel mais il y a un élément caché, invisible; les racines suggèrent quelque chose de plus profond. Ces deux éléments travaillent en synergie pour nous donner un arbre complet. La même chose peut être dite sur le corps. Ce que nous voyons d'abord est le corps physique mais caché dans cette enveloppe de chair et d’os il y a l’âme, l’une ne pouvant se passer de l’autre. Alors, ces portraits d’arbres deviennent des « portraits d’âmes ». De ce fait, Aline Kundig nous donne une autre vision de la nature qui nous entoure. De plus, un arbre pousse dans deux sens, vers le ciel et sous la terre. Il est le lien qui unit l’humain au céleste et au souterrain, entre les hommes et Dieu selon les Chrétiens, entre Éros et Thanatos selon les grecs ce qui se rattache à la question profonde de l’existence.
Elle fait alors corps avec la nature à travers les arbres, un symbole fort et intime pour l’homme.
Restons-en là est une série photographique et un travail autofictionnel. Dans l’espace d’une chambre et d’un lit, elle photographie sous une ambiance rosée l’empreinte de mots puissants et violents sur son corps, ainsi que sur des éléments à conviction.
Ces images témoignent d’histoires d’amour personnelles où des corps se sont mêlés et rencontrés, puis séparés par des mots, ici révélés et tamponnés par elle-même sur elle-même. Le tampon est un choc mais qui se révèle éphémère. Un symbole de douleur relevant une troublante parabole sur la fragilité de l’amour et des mots parfois destructeurs. Ce symbole est d’autant plus fort grâce à son héritage de descendante d’imprimeurs.
Cette artiste libre s’approprie un rapport poétique au réel. Par une mise en scène de soi-même dans le monde, elle a su créer une intimité à travers son corps et son rapport à la typographie. Elle fait corps avec son histoire pour toucher à l'universel, lui permettant de surpasser la violence symbolique et d’en tirer une dimension thérapeutique.
Tout cette “présence crue et douce” évoque Francesca Woodman, Nan Goldin et Ana Mendieta dans leurs rapports à la féminité, dans la façon dont les femmes sont présentées dans un travail intime et sensible, et revendiquant une position féministe artistique. Nous pouvons aussi faire une translation de son intimité et de la violence à l’instar (mais sous d’autres formes) de l’artiste Tracey Emin, avec My Bed (1998), une installation où elle met en scène son lit qui témoignent d'une expérience personnelle d’une rupture amoureuse qui fait suite à une dépression. Le lit souvent repris comme référence dans l'histoire de l’art est un symbole universelle et puissant. Ses artistes en font aussi une extension personnelle et intime de l’artiste.
Aline Kundig donne corps à ses expériences amoureuses grâce à la photographie.
Céline Poux & Océane Beautier-Julhien