Biographie
David Brunel
Né en 1968 à Toulon, France, il vit et travaille entre Arles et Amsterdam. Docteur en philosophie esthétique et études psychanalytiques, écrivain, photographe, chercheur associé au Centre de Recherches Interdisciplinaires en Sciences Humaines et Sociales de Montpellier (CRISES), qualifié Maître de conférences (18ème sect°), il dispense des cours dans diverses universités et écoles supérieures d’art (esthétique, histoire de l’art, fondements de l’image, analyse d’œuvres, photographie, cinéma...). Il est également conférencier régulier à la Fondation Vincent van Gogh (Arles). Que ses préoccupations de recherche soient d’ordre critique, poétique, ou photographique, elles restent animées par la vaste question de la représentation (autant côté créateur que regardeur).
POERTRAIT
Ce projet se tient à l’interface de la photographie, de la peinture, et de la littérature. Les ramifications premières plongent leurs racines dans le texte d’Egard Allan Poe, Le Portrait ovale, une nouvelle qui parle de peinture, de portrait, de regard, et, essentiellement, du surgissement qu’implique parfois la rencontre esthétique. La thématique de fond des écrits de Poe travaille avec brillance la question de la représentation, du rapport à l’image peinte, et à celui de l’image en général. Quelque chose de fondamentalement rilkéen se faufile dans ce texte — une perle sur le collier de l’aesthésis, le modus operandi idoine pour l’esthète, pour celui qui cherche à voir plus qu’à regarder.
Les deux photographies de la série ici présentes prennent appuis sur des images préexistantes, Francisco de Goya d’une part, Félix Nadar de l’autre, deux sources référentielles posturales rabattu sur le modèle afin de créer un écho iconographique chez le regardeur. L’idée étant de retenir le regard par la citation afin que ce dernier s’accorde du temps tout comme le narrateur du Portrait ovale en consent à ce portrait peint qu’il croise soudainement. Plus de temps, s’accorder à son voir, faire corps avec son fond culturel, l’œuvre, trouver ses yeux, et laisser faire les ondes.
Texte par David Brunel
INTERVIEW
Interview de David Brunel, sa conception artistique de "Faire Corps" et la liaison du sujet avec son travail.
- Comment interprétez-vous le sujet "Faire Corps" ?
- De quelle manière auriez-vous répondu à ce sujet à travers votre travail ?
Je l'interprète pas vraiment parce que le sujet faire corps c'est un sujet, c'est un sujet de buvard, c'est un sujet qui absorbe tout c'est un sujet mais c'est un non sujet en ce sens que tout fait corps. On peut faire glisser n'importe quelle image, n'importe quelle œuvre, et en l'espace de deux/trois phrases, de deux/trois retournements, de deux/trois notions, de deux/trois pirouettes, l'amener au bout sur cette thématique. Parce qu'on se sent, parce que tout fait corps. Je veux dire que ce soit le rapport à l'autre, que ce soit pour le regard, que ce soit la nature, que ce soit du point de vue, j'en sais rien, des atomes on est tous liés, reliés, donc je ne l'ai pas interprété. C'est un non sujet, c'est pas un déni du sujet. C'est juste que c'est pas un sujet qui en soi nécessite pour moi, une interprétation en ce sens qu'il est ouvert et il accueille tout. Après je pourrais répondre la question, pour moi si je dois dire deux mots autour de ça, c'est dire que c'était un sujet qui appelle à l'unité, à l'unification, à la réunion, à la communion, je le prendrai dans ce sens là quoi. Faire corps je le prendrai dans ce sens et ça peut aller d'un rapport visuel et contemplatif de l'observateur à un arbre ou une peinture comme d'un rapport en toute logique physique et amoureux à un autre corps quoi. S'unir, mais l'union elle va dans tous les sens. C'est de soi à soi, c'est de soi à l'autre, c'est de soi à une chose, c'est un mode d'ouverture, on trempe des choses en soi pour le regard.
De quelle manière j'aurais répondu à ce sujet à travers mon travail, si j'avais eu spécifiquement une œuvre à produire en réponse au sujet, avec une réelle thématique montée en amont par un musée ou un curateur qui dirait "ok on prend des œuvres neuves, vous créez autour de ce sujet là"; et non pas comme cette fois, à savoir vous en tant que curateurs en herbe, vous avez fait des sélections ? Moi j'ai pas vraiment de pensées et de savoir d'avance, c'est à dire que la réponse est très simple: je sais pas, je sais pas, je sais pas ce que j'aurais fait. Enfin, je veux dire, vous me posez une question, par exemple d'un ordre donné, je peux donner une réponse mais là vous me dites de but en blanc "qu'est ce que vous auriez fait si vous aviez eu à créer etc." Je sais pas, ma réponse c'est ça je sais pas. J'en n'ai aucune idée quoi, je pense déjà que je n'aurais pas fait de photographie, ça serait nécessairement de l'écriture parce mes images ça fait longtemps qu'elles sont devenues littéraires ou poétiques, donc je peux répondre à la limite que mon médium de prédilection, mon médium privilégié aurait été l'écriture mais je ne sais pas. Ça je le sais que je sais pas.
Sous-titres réédités par Lorraine Fleury
Entretien : Baya Benlala-Fontaine & Simon Doutavès
LE REGARD DE...
David Brunel s'intéresse dans un premier temps à la photographie. Diplômé de l'école de photographie Image Ouverte. Il poursuit avec diverses formations universitaires dans le domaine de l’art et des lettres, il obtient notamment un doctorat mention philosophie esthétique et études psychanalytiques. Sa pratique photographique est à l'image de son parcours mêlant ainsi une profonde maîtrise de l’histoire des arts et de la philosophie.
“À la longue, ayant découvert le vrai secret de son effet, je me laissai retomber sur le lit. J'avais deviné que le charme de la peinture était une expression vitale absolument adéquate à la vie elle-même, qui d'abord m'avait fait tressaillir, et finalement m'avait confondu, subjugué, épouvanté .” Ces mots, tirés de la nouvelle d’Edgar Allan Poe, Le Portrait ovale, ont fait émerger chez David Brunel une réflexion, de celle-ci naît une série qui inclut dans son titre le nom de son inspirateur : “Poertrait”. Le Portrait ovale décrit l’expérience du spectateur face à un tableau qui amène le personnage à se questionner sur son rapport à l'œuvre. David Brunel s’empare de ce texte et développe un travail autour. Là s'insère l’idée de “faire corps”. Le spectateur fait effectivement corps avec l'œuvre, comme le lecteur avec son livre, un auteur avec son œuvre, etc.
David Brunel, Poertrait #1 – Links & blinks (according to Goya), Lambda print on metallic paper, 94,5 x 76 cm, mounted on aluminium, 99,4 x 80,7 cm framed, 2007. Il s’agit d’un portrait, celui d’une femme assise de trois quart, au regard contemplatif orienté vers la gauche. Son visage ne porte pas d’expression particulière, elle est simplement là, calme, vêtue d’une robe au camaïeu de brun, allant du noir à l’oranger. Elle est caressée par la gauche d’une lumière douce, diffuse. L'atmosphère ton chaud naît d’une part de ce fond châtaigne, dense couleur, épaisse profondeur; et d’autre part de ces reflets bronze, métalliques. Ladite atmosphère nous transporte avec une agréable douceur, captivante, enivrante.
Le lien avoué avec le portrait d’Isabel de Porcel de Francisco de Goya est flagrant. Les deux femmes sont disposées quasiment à l’identique. “Lorsque les gens passent devant Poertrait #1, ils soulignent généralement le fait que cette photographie renvoie à une peinture, sans pour autant connaître le tableau de référence initial” confie David Brunel. Cette ressemblance, cet assemblage, a pour but d’intriguer et de retenir l’attention du spectateur afin d’augmenter, par l'intrigue, la contemplation, la présence du regardeur, son rôle actif dans la représentation, et faire ainsi corps avec l’oeuvre — une manière de rejouer également la partition du Portrait ovale d'Edgar Allan Poe. Corrélation, ne peut-on pas dire que le portraitiste lui-même fait aussi corps avec son modèle ? L’axe empathique est une condition dans le genre du portrait. La réponse est donc bien oui.
David Brunel, Poertrait #2 – Links & blinks (according to Nadar), Lambda print on metallic paper, 94,5 x 76 cm, mounted on aluminium, 99,4 x 80,7 cm framed, 2014. Il s’agit encore d’un portrait mettant en scène une femme, mais de dos cette fois. Cette dernière est comme plongée dans un océan : le fond et ses vêtements se déclinent en nuances de bleu. Cette impression marine est renforcée par les drapés, lesquels s’apparentent à des vagues tourmentées. Il en va de même de sa chevelure, pourtant non azur, mais dont le mouvement aquatique évoque une mer déchaînée dont la colère se dirige vers les cieux, autre espace bleu. Nous savons le bleu associable au rêve, à l'évasion. Ne serait-il pas ici également porteur de mystère ? De par sa posture, la dame de dos — et ses mystères —, appelle le regardeur imaginer la face cachée, le hors champ, l’au-delà de l’image. Il y trouvera sûrement une interprétation intime de l'œuvre.
Évoquons à présent Nadar, lequel s'intéresse au portrait intime. Suite à une étude du sujet, il amène à un portrait traduisant pour l’artiste et présentant au spectateur une vision sensible de la personne représentée. L’un de ces portraits de 1856 est Marie Laurent vue de dos. De plus, la forme du cadre, Ovale, nous fait une nouvelle référence à l'œuvre de Poe. La dimension intime révélée permet de confirmer que le portraitiste fait corps avec son modèle. Par conséquent, la série Poertrait permet à la fois au spectateur de faire corps avec l'œuvre en régénérant l’envie de ce dernier à voir plus longuement l'œuvre comme dans le Portrait Ovale, mais elle témoigne également de ce “faire corps” que tout portraitiste applique entre son modèle et lui-même dans le portrait — captation de l’intime ainsi que Nadar l’enseigne, et le prouve.
Nil Saulière & Léonore Tibayrenc