Biographie
Hadrien Pelletier
Après une licence d’océanographie à l’Université de Marseille, l’École Nationale des Beaux-Arts de Nancy, Hadrien Pelletier est dispensé de ses leçons pendant cinq ans. Passé par toutes les techniques qu’enseigne l’École, il a fait du végétal son centre d’intérêt. L’arbre et le papier ont un mot en commun qui est la feuille. La vocation de l’arbre est de produire du papier selon un procédé qui lui est propre. Il fait comme lui en recyclant ses éléments constitutifs, bois, écorce, cellulose, qui deviennent la matière première de son art. Les végétaux voisins comme les fleurs produisent des encres. L’étape précédant le papier, la pâte, est un support qui convient à toutes les expressions, avec l’ajout des pigments, également issus des végétaux. Le geste de la transformation est son art proprement dit. La pâte à papier à la souplesse de la glaise avant la cuisson.
Résurrection
Toutes les fleurs ne poussent pas en liberté dans les champs et les bois. Certaines, et des plus spectaculaires, sont élevées en batterie comme les poules, et comme elles aussi, soumises aux caprices de la consommation. Les fleurs des champs ont un paradis qui est le champ lui-même, les fleurs d’élevage ont un paradis qui est la poubelle. C’est ici que j’interviens. Les fleuristes disposent de containers où vont s’échouer tous les soirs les produits invendus, et déclassés pour cause d’anomalies dans leur apparence. Je les récupère à coût inexistant, et leur offre la résurrection par l’application de mon art. Le langage des fleurs n’explique pas la tristesse de celles qui ont vécu pour rien.
Le Moyen Âge a popularisé le décor mille-fleurs. Les enluminures et la Dame à la Licorne par exemple, témoignent de cet engouement décoratif. Son but était de faire ressortir le sujet principal de l’œuvre, le texte dans le cas de l’enluminure, la Dame dans le cas de la tapisserie. Mon projet est de faire du décor le seul motif de l’œuvre sans autre thème. Une fois sélectionnées, les fleurs sont trempées dans un bain de liant, qui les fixe et leur conserve leur figure, évitant à l’avenir toute déformation, et séchées. Après durcissement du liant, les fleurs sont peintes, pas nécessairement dans leur teintes d’origine, comme pour leur donner une nouvelle identité. La rigidité des pièces facilite leur présentation au moyen de matériaux divers tels que tube en cuivre et laiton, éléments de robinetterie, tiges métalliques, manches de parapluies, ou tout autre objet pouvant servir de support.
INTERVIEW
Interview de Hadrien Pelletier, sa conception artistique de "Faire Corps" et la liaison du sujet avec son travail.
- Comment interprétez-vous le sujet "Faire Corps" ?
- De quelle manière auriez-vous répondu à ce sujet à travers votre travail ?
Si la locution définit la manière de ne faire qu'un, c'est le travail de tout artiste que d’unir les matières et les éléments à n'être qu'une seule chose. Qu'il s'agisse d'une œuvre plastique ou d'un concept faire corps s'applique à toutes les formes d'art et d'œuvres réalisées.
Adaptés à ma pratique, "Faire corps" s'applique littéralement et sans ambiguïté puisque mon travail se nourrit d'éléments divers, paille, fleurs, écorce, pigment, liant, cellulose pour ne produire qu'une œuvre. Mais il est une autre question que la locution évoque, faire corps peut également sous-entendre l'intellect de l'individu avec sa réalisation et l'aboutissement de celle-ci. Faire ce que l'on pense, réussir à reproduire ce que l'esprit a vu, que la main devienne l'œil, faire corps serait l'union du corps et de l'esprit. Mais ça c'est une autre question.
Sous-titres réédités par Lorraine Fleury & Mathys Tanganelli
Entretien : Baya Benlala-Fontaine & Simon Doutavès
LE REGARD DE...
Après avoir obtenu une licence en océanographie, Hadrien Pelletier se tourne vers les Beaux-Arts. Il y découvre et expérimente de nombreux médiums mais porte son intérêt sur le végétal. Il utilise les éléments constitutifs de l’arbre (écorce, cellulose, bois, …) afin de créer de la pâte et du papier, ainsi que les plantes et fleurs pour fabriquer des pigments. Ce sont des matériaux très modulables, offrant une grande liberté de création. Hadrien Pelletier fait donc du geste de la transformation son art.
Les œuvres de Hadrien Pelletier sont constituées de plantes et de fleurs étant jugées comme “invendables” à cause d’un défaut ou de leur apparence générale. Une fois récupérées, ces plantes sont peintes de nouvelles couleurs à l’acrylique et maintenues par des tuyaux de cuivre, originellement pensés pour la plomberie, comme dans un soliflore.
Pour que ces végétaux demeurent, Hadrien Pelletier les fait tremper dans un bain de liant permettant de conserver leur forme originale et qu'ils ne fanent pas. Avec cette technique, l’artiste offre l'éternité à ces êtres organiques de nature très éphémère et les fait passer au statut d’entité. Cette technique transforme ces plantes en peintures et sculptures toutes plus uniques et originales les unes que les autres.
Ces installations sont prises en photos devant un fond blanc, faisant ressortir les couleurs neuves et les corps changés des plantes, comme de nouvelles parures.
La série Résurrection de Hadrien Pelletier, donne à voir une sorte de réincarnation. En effet, il part d'un organisme délaissé et en fait éclore un nouveau, le sublimant, lui offrant une nouvelle peau, une nouvelle racine plus puissante et un corps plus résistant, un peu à la manière de Berlinde de Bruyckere. Tout ce travail fait donc don de l'éternité à ce nouvel être, comme le ferait une nature morte. Les tuyaux de plomberie peuvent être perçus comme organiques, le liant des fleurs constitue la nouvelle peau et la fleur signifie la tête, le cerveau de la nouvelle créature. L'harmonie des couleurs est elle aussi travaillée, en passant par plusieurs dégradés, des contrastes surprenants mais un tout lumineux, doux et mystérieux. Hadrien Pelletier associe le vivant et le non-vivant afin de donner naissance à de véritables paysages, comme l’artiste indienne Rina Banerjee. En changeant la couleur des plantes, il crée de nouveaux lieux à visiter.
La création des nouveaux corps de cette série d'œuvres est similaire au processus de momification autrefois utilisé en Egypte. Ainsi, le bain de liant et la mise en couleur représenteraient l'embaumement, servant à purifier le corps et à l’embellir. Les tuyaux de cuivre représenteraient les bandages enroulés autour du corps du défunt et pour finir la fleur serait le corps et l'âme du défunt. Tout ce rituel aboutit à la forme finale, la momification, le sarcophage, l’art de Hadrien Pelletier, Résurrection.
Toujours du côté de l’Egypte, les portraits du Fayoum sont convoqués par l'œuvre de l’artiste. Ces portraits rejoignent le concept de momification, puisqu’il s’agit de visages, peints sur du bois, insérés dans les bandelettes de la momie au niveau de son visage. Ces portraits funéraires sont paradoxalement très vivants, notamment grâce au détail de l’humidité des yeux. Parées de leurs plus belles couleurs, les fleurs de Hadrien Pelletier nous semblent tout aussi vivantes que ces portraits.
Outre cela, ces plantes s’inscrivent également dans des thématiques très contemporaines. Par son œuvre, Hadrien Pelletier émet une critique de la société de consommation. Ces plantes, autrefois jetées pour un petit défaut ou considérées comme de simples déchets, sont désormais le centre de l’attention grâce aux transformations que l’artiste leur applique. Résurrection est aussi l’occasion de s’attaquer au culte de la beauté, au sein duquel aucun défaut n’est toléré. Cet aspect du travail de Hadrien Pelletier évoque la série Black-Eyed Susan de Valérie Belin. Cette dernière a également mis en scène des fleurs (mais en tant que décor) afin de critiquer la codification de la beauté féminine des années 1950.
Finalement, Hadrien Pelletier fait corps avec son art en lui donnant la forme qu’il imagine et souhaite lui donner. C’est une part de lui qu’il laisse dans ses œuvres comme un morceau de son esprit, un éclat de sa créativité qu’il décide de nous partager. Faire corps avec ces plantes, leur en donner un, et embrasser ses principes lui permet de proposer aux spectateurs de nouveaux paysages fantaisistes jamais vus auparavant. Tout comme un alchimiste transformant le plomb en or, l’artiste métamorphose ces fleurs “défectueuses” en sublimes végétaux.
Lorraine Fleury, Maëlys Manicas & Enzo Aurel-Laurens