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Biographie

Inge van der Ven

Née en 1973 à Delft, Pays-Bas, Inge van der Ven, artiste plasticienne, vit et travaille entre Arles et Amsterdam. Elle est diplômée de La Gerrit Rietveld Academie (peinture & dessin), et détient une Maîtrise en Arts du Spectacle à l’Université d'Amsterdam (UvA). Sa pratique artistique, plurielle, hybride, questionne la relation entre intérieur et extérieur. Intimité et fragilité se conjuguent dans ses œuvres, lesquelles jouent avec l’idée de peau, d’enveloppe, de contenance. Le corps est assimilé par l’artiste en tant que maison, et la maison en tant que seconde peau — les deux sont les berceaux de son travail.

À propos

Bourses de sirènes — une forme totem


Les bourses de sirènes, magnifiques petites choses organiques de quelques centimètres seulement, de couleur crème parfois, brune la plupart du temps, les "mermaid’s purses" pour conserver la terminologie utilisée par l’artiste elle-même,  sont ces œufs propres à certains chondrichthyens ovipares (raies, chimères, et autres petits requins), qu’offre la laisse de mer.


Arpenter les plages pour collecter dans le marché gratuit de la laisse de mer est une activité d’atelier pour Inge van der Ven, une source d’inspiration autant que de respiration — ions négatifs, iode, énergie. La forme des mermaid’s purses pour en revenir à ces petites choses se situe entre celle d’un hamac négligemment posé au sol et celle plus rigide et symétrique d’une civière, soit une espèce de H majuscule dont la barre centrale est notablement épaissie, les contours assouplis, et le volume sensiblement en cloque. La connotation humanoïde des mermaid’s purses apparaît presque instantanément. Elles deviennent très vite des corps qui dansent, des petits ventres qui se contorsionnent, des bras, des poignets, des doigts fins, qui s’enroulent et se déroulent, il y a entre elles du lien, de la connexion, de la vie — la bassa danza des Trois Grâces installées dans Le Printemps de Botticelli est bien là cette fois —, chorégraphie organique, mouvement du monde, de la Natura. Parler de mermaid’s purses avec Inge van der Ven c’est appeler son visage à s’animer, et ses yeux à briller. « Vivre, c’est trouver une forme » estimait Friedrich Hölderlin. Inge doit le savoir, non d’un fragment poétique rencontré, lu, mais par intuition acquise, sensation avérée. Elle a effectivement trouvé une forme symbolique puissante, poétiquement ouverte, malléable, exploitable, une forme totem, une mine d’art.

David Brunel Docteur en philosophie esthétique, écrivain, photographe, chargé de cours en Sciences de l’art à Aix-Marseille Université, en Arts du Spectacle et en Esthétique à l’université Paul Valéry Montpellier III.

SELECTION

LE REGARD DE...

Inge van der Ven est une artiste plasticienne pluridisciplinaire née en 1973 à Delft aux Pays-Bas. Elle a étudié la peinture et le dessin à la Rietveld Academy, elle vit et travaille entre Amsterdam et Arles.


Après avoir effectué un voyage à travers les œuvres de Inge van der Ven, il y a certains thèmes, sensations, formes, mondes et matériaux qui reviennent régulièrement.
Lors de notre parcours, nous avons pu observer plusieurs formes et objets qui semblent complètement détachés, d'apparence hétérogène, mais qui peuvent actuellement s'associer avec cohésion et cohérence dans deux familles : les réceptacles et les enveloppes. Les œuvres regroupées dans la famille des réceptacles sont celles qui reçoivent des corps et des matériaux tout en diffusant l'idée d'accueil, de bienvenue, de cocon. Les lits, canapés, chaises, baignoires, maisons, bouteilles appartiennent et forment cet ensemble. D’autre part, nous avons les autres éléments utilisés par Inge van der Ven : vêtements, laine, torchons, tissus, papiers. Ces membranes d’empaquetage de corps et matériaux appartiennent au groupe des enveloppes, et diffusent l’idée de protection, de fourrure, de peau, d’habillement. Il y a un sentiment à extraire de ces deux ensembles : une pincée de mélancolie. En effet, les deux descriptions de ces regroupements d'œuvres dévoilent le fait que les objets choisis par l’artiste ont un besoin de complémentarité avec un corps ou un autre matériau. C’est leur fonction de contenir, réceptionner, enrober, emballer un autre élément. Le choix fait par l’artiste de ne pas illustrer cet élément nous laisse au dépourvu, avec un vide qui nous incite à vouloir rejoindre ces objets, à les compléter, à se laisser envelopper par eux, et donc faire corps avec eux.


Principalement dans ces travaux de collage, Inge aime expérimenter avec le sujet de la collision du monde intérieur et extérieur. Son travail Bathtub illustre bien cette idée. Une baignoire qui se situe normalement dans l’environnement intime, qui est la salle de bain, est arrachée de ce lieu privé pour être placée dans un milieu marin. La baignoire est collée d'une telle manière que son rebord est positionné au-dessus de la délimitation entre le ciel et la mer, cachant une grande partie de l’horizon et captant notre attention de part de sa centralité.


Bathtub a quelque chose de vague et de mystérieux, la porte est grande ouverte pour toute sorte de rapprochements. Mais pourquoi une baignoire ? Ce récipient paraît au premier abord banal, ne valant pas d’attention ni de considération. Pour autant la baignoire, dont la fonctionnalité simple (se laver) est aussi comme un ventre maternel. L’intérêt se dévoile, la valeur symbolique se lève. Lorsqu’on se baigne, on est dans l’eau tiède, nu(e), exposant la forme la plus pure de notre corps, les oreilles sous cette eau, le sens du toucher et de l'ouïe atténués mais pourtant ne se sentant pas en danger ou inconfortable. Nous pouvons associer ces ressentis à la vie intra-utérine. Le fait que ce contenant maternel soit juxtaposé à l’océan, autre berceau de vie, lie cette œuvre à la vie, à la naissance, à la création — une naissance de Vénus contemporaine, Botticelli revisité.

Abordons maintenant un autre collage tout aussi vague et mystérieux de Inge van der Ven, Familiar chairs. Inge joue de nouveau avec l’intérieur et l’extérieur. Par contre, cette fois-ci, la sélection de son sujet soulève une nouvelle idée qui peut être relevée dans le choix d’autres objets qu’elle privilégie, i.e., l’aspect mnésique. En effet, en nous penchant sur notre œuvre, nous pouvons observer un choix chromatique proche du noir et blanc, rappelant les anciennes méthodes de photographie comme si c’était une illustration d’un moment, un évènement, un souvenir passé.

À remarquer notamment, la représentation des chaises dans Familiar chairs néglige complètement la justesse mathématique de la perspective (Van Gogh, Van Eyck, Petrus Christus). À la manière de certains maîtres flamands, Inge choisit de “déréaliser” ses chaises. Elle ne cherche à aucun moment à faire une représentation de la réalité mais plutôt une représentation de la représentation. Tordues, étranges, bancales, déformées, ces chaises ne sont plus des chaises mais bien des dessins. Courbes, torsions, étirements, agrandissements, ces chaises représentées nous livrent un gros ventre, des longs bras, des épaules étroites, bref, un corps. Un corps représenté dans son unicité, diversité, imperfection et originalité. Ayant découvert l'anthropomorphie des chaises de Inge van der Ven, la vision de ces dernières devient autre, nous faisons face à une rangée, une famille. Le titre Familiar chair, nous dit en réalité qu’il s’agit presque d’une photo de famille, un peu décadrée, imparfaite, mais photo de famille tout de même. Autre œuvre dont l’apparence est aussi anthropomorphique, Mermaid’s purse, laquelle est faite à partir d'œufs de requins. Inge a un attachement à cette forme de H avec un trait du milieu épais (il apparaît dans ces bourses de sirènes mais aussi dans ses chaises, ses corps...). L’artiste récupère ces bourses de sirènes à sa source, l’océan, et les expose sans y apporter des modifications. Les oeufs sont exposés sur un fond blanc et simplement encadrés donc toute notre attention est focalisée sur eux. Que dire du symbolisme de ce choix ? Ces bourses sont organiques et éphémères. À l'opposé de l'âme, qui d’après Platon, est immortelle, s'incarnant et se désincarnant à l’infini. Ces bourses, des enveloppes délaissées par la vie, répètent cette éphémérité et nous rappellent que notre corps aussi sera vide un jour, dépourvu de son âme, simple enveloppe.

 

Autre œuvre, faite aussi à partir d'œufs (de volailles cette fois), sans titre. Pas de guide, pas de trame. Néanmoins, cette absence de titre ne doit pas être vue comme un inconvénient, au contraire, elle nous laisse libres à l’interprétation. Les coquilles de cette œuvre sont assemblées pour créer une culotte, qui enrobe, emballe, protège et forme une deuxième peau. Celle-ci reste tout de même fragile et fine à cause de son tissu transparent omniprésent en dessous des coquilles et des coquilles elles-mêmes. Une faible armure pour les femmes contre les difficultés auxquelles elles devront faire face. Le sujet de la femme est au centre de cette pièce, la culotte devant être une protection est cassée et n’a pas été assez solide face aux violences et agressions sexuelles que les femmes peuvent subir. La culotte est accrochée d’une telle manière qu'elle semble attendre d’être portée. Comme nous le dit l’expression anglaise : "Do not judge someone unless you’ve walked a mile in their shoes", Inge semble nous dire la même avec ce sous-vêtement, elle nous dit "porte ce vêtement et comprend la difficulté des femmes à se sentir en sécurité de nos jours." Mais à travers cette finesse, ce rassemblement minutieux de coquilles, il y a aussi une expression de la féminité et de la maternité. Les œufs peuvent faire appel aux ovules, aux ovaires, au système reproductif de la femme.


La disposition des coquilles pourrait aussi être interprétée comme des plaques tectoniques craquelées, un symbole de la Terre, notre terre, l’origine de l'humanité et de la création. Il y aurait donc comme dans Bathtub, une double représentation de la création. La création de la vie en général — océan et ventre maternel.


Concluons avec une œuvre de Inge van der Ven qui sort un peu du lot, Growing Intimacies. Une installation métallique recouverte de tissus positionnés au-dessus d’une scène. Les spectateurs et les artistes font partie de l’installation. Leurs actions et réactions peuvent alterner le ton et la signification de l’installation. Ils font corps avec ce travail.

La simplicité de la forme choisie, un “abat-jour-abri”, laisse place à l'interprétation. Expérience sociale ? Les artistes se sentent-ils plus en sécurité, protégés, moins anxieux grâce à cette structure ? Ou pourrait-elle être plus intéresser le public, plus captivé par la prestation de l’artiste ? Interactions, relations entre les diverses parties présentes, comment font-elles corps ?


Notre sujet faire corps pourrait être vu comme une chose très matérielle et physique. Mais il y a une part de notre sujet qui touche à l’invisible, aux sens, à l’aura, à la présence. Matériellement parlant, nous sommes fait d’atomes qui se touchent, qui sont en contact, en synergie. Néanmoins la délimitation de notre corps, notre intimité, cette extension de notre être n’est pas une chose établie qui obéit à des règles. Elle est unique pour chaque individu et peut évoluer au cours de notre vie. Cette structure en forme de lampe, d’abri, pourrait être un rappel de cette bulle invisible, personnelle, et intime. Inge veut peut-être qu’on retienne l’importance de ces barrières ? 

Estella Jarstad-Brown & Léana Blanc

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