Biographie
Rémi Vinet
Rémi Vinet est artiste, photographe et réalisateur, diplômé de l’Ecole Nationale Supérieure de la Photographie, ENSP de Arles. Il a engagé une pratique de la photographie après des études de cinéma documentaire à l’université de Poitiers, et a suivi l’enseignement de Serge Gal à l’école de photographie Image Ouverte de Clarensac.
En 2004, il publie Cet Absent-là (éditions Léo Scheer et Folio Gallimard) qui regroupe un ensemble de ses Figures accompagné d’un texte de Camille Laurens.
Parallèlement à son travail de photographe, il réalise des films sur la question « filmer la musique ? ». Portraits d’orchestres et de musiciens ou interprétations expérimentales, ses films représentés en partie par la Huit Production sont diffusés sur les chaînes de France TV et des chaînes régionales.
Il travaille actuellement avec L’ONJ (Orchestre National de Jazz) sur le projet Frame by Frame qui propose un répertoire partagé entre les groupes King Crimson, Pink Floyd, Genesis et Henry Cow.
Rémi Vinet vit à Montreuil en Seine-Saint-Denis et est le père de deux enfants.
À propos
Je suis artiste, photographe et réalisateur.
La photographie s’est associée progressivement à ma pratique du cinéma qui fut ma formation première : des études sur le documentaire, un DUES filmer le réel à l’université de Poitiers. L’acte de faire des photographies est venu naturellement avant de réellement s’affirmer en suivant l’enseignement de Serge Gal à l’école de photographie Image Ouverte de Clarensac.
Mon travail en photographie a été exposé en France et à l’étranger par la galerie RE, Paris, la galerie Gora, Montréal, et dans le cadre d’évènements internationaux tels que Paris-Photo et le Mois de la Photo. Il s’articule également par des expositions en lien avec différentes publications, entre autres Cet Absent-Là, un ouvrage partagé avec l’écrivain Camille Laurens aux éditions Léo Scheer. Je présente aussi mes photographies dans des performances et installations en invitant en créations transversales d’autres artistes musiciens, chorégraphes et comédiens, Philippe Chateau, Sylvie Pabiot, Palix, Cédric Eymenier, Richard Comte etc.
Mes films sont produits en partie par la Huit, société de production du 12ème arrondissement de Paris avec laquelle je collabore depuis 17 ans. Ce sont des films principalement orientés par la question de filmer la musique à travers le portrait de musiciens et une interprétation cinématographique de leur musique. Ce sont pour la plupart des 52 minutes régulièrement diffusés sur des chaînes spécialisées telles que Mezzo, Arte, Culture Box, France TV et aussi sur des chaînes en région, TV Nantes, France 3 île de France etc.
Parallèlement à ma pratique artistique, j’enseigne la photographie en dirigeant des workshops en collaboration avec La Maison du Geste et de l’Image à Paris, l’Ecole des Beaux-Arts de Mulhouse, le Musée de la Photographie de Bièvre et aussi d’autres institutions sociales, Maisons pour l’Emploi et centres sociaux.
Mon travail d’artiste est d’interroger la mémoire par l’expression et la formulation de l’identité humaine. Les grands maux humains émanent de questions d’identités. La compréhension du fonctionnement des mécaniques sociales et politiques de notre ère est, à mon avis, intrinsèquement liée à cette affirmation.
Comment faire le lien entre l’image décrite d’un grand-père soldat de 14-18 retrouvé agonisant sous la neige de Verdun, l’image des opposants à Pinochet disparus sans sépulture en 1973 au Chili et les migrants avalés par les flots au cours de l’exil ou entassés dans des camps aux confins de la Turquie en 2017 ?
C’est dans cette image de la disparition que je cherche à formuler l’identité humaine en la puisant dans l’image qui apparait quand on pense à une personne qu’on ne voit plus. Un visage fabriqué à partir d’un autre visage, créé avec les lignes essentielles universelles (nez, bouche, cou, front...). Comment l’image fait signe, une trace sur un visage par exemple peut-elle renvoyer à une mémoire collective et en même temps conduire à une interprétation individuelle, personnelle, intime ? L’identité humaine se formule me semble-t-il dans « la désidentification ». Ainsi, Figures, Phonèmes, Les Suites Photographiques, Le Veilleur et un ensemble de travaux menés depuis 20 ans participent de cette recherche.
Ma recherche est nourrie d’influences multiples : les films noirs et blancs de l’enfance, Duvivier, Renoir, Clouzot avec Gabin et Vanel, les grands textes et poésies de Mercedes Sosa ou de Paco Ibanez, la chorégraphie de Catherine Diverres, un choc rencontré au Théâtre de la Ville en 1996 qui me conduira à écumer les spectacles de danse dans lesquels je puiserai une grande part de mon influence pour créer Figure, les photos de famille scrutées longuement dans leur boîte en évoquant les fantômes familiaux que j’analyse aujourd’hui à la lumière (et l’ombre) de la psychanalyse et la philosophie (entre autres Bruno Clavier, Serge Tisseron, Jean-Christophe Bailly), le cinéma documentaire de Chris Marker, Robert Kramer, Dziga Vertov, où le réel s’émancipe vers des visions universelles, la photographie de Robert Frank, de Jose Luis Neto, le travail de Christian Boltanski aussi.
C’est une longue pratique de l’art et l’image que je résume ici.
Si mon travail est multiple, un des axes de ma recherche est la tension entre le singulier et le commun, l’intime et l’extime, l’individu et la société. La série Figure illustre bien cette tension, jamais apaisée, mais qui fait la richesse des hommes et leur singularité irréductible.
Dans mon travail de réalisateur, je poursuis cette recherche, en la déplaçant toutefois, notamment au cœur de la « création collective », comme une métaphore du vivre ensemble, et des conditions du développement personnel au sein d’une collectivité.
Texte par Rémi Vinet
Penser à quelqu’un que l’on ne voit plus, il en vient toujours une image. Figure se définit ainsi. Une image ancrée dans la mémoire, un visage aux traits façonnés par la connaissance et par le temps qui passe.
A partir de cette vision, aller plus loin.
Détacher le visage des liens quotidiens, sociaux, familiaux, communautaires... Les effets. Tenter une extraction. Extraire le visage de son identité apparente. « Désidentifier ». Tendre vers les formes, les lignes, appréhender les masses qui le dessinent. Utiliser le noir et le blanc, les gris pour formuler. Recomposer Un Autre enfoui, inexprimé, nié.
À partir d'un visage, je fabrique un autre visage. C’est Figure.
De mes photographies, j’extrais des visages en les projetant puis en les rephotographiant sur une toile. C’est le principe. La prise de vue est aplat. Délicate. J’isole un négatif. Dans mon laboratoire, c’est au tirage que Figure prend forme. Tout y devient sensible car tout fait sens. Un changement de contraste ou une approche de maquillage peut amener à une autre interprétation. Il faut orienter la vision vers l’absorption subjective, vers un invisible vivant. Tout est lent et long avant de considérer une figure aboutie. Il faut souvent revoir, s’interroger, recommencer. On ne sait jamais.
Les figures sont toutes du même format 358x480 mm sur une feuille de papier baryté argentique 50x60 cm. Un format proche de la conversation.
Les premières figures sont apparues en 1997. Elles s’étalent sur plusieurs périodes. Il y en a aujourd’hui 65. D’autres s’en viennent. C’est infini.
VER / CORS
SILENCE DES SÉMAPHORES
INTERVIEW
Interview de Rémi Vinet, sa conception artistique de "Faire Corps" et la liaison du sujet avec son travail.
- Comment interprétez-vous le sujet "Faire Corps" ?
- De quelle manière auriez-vous répondu à ce sujet à travers votre travail ?
La question de faire corps, pour moi, elle répond à la question d'appartenir. René Char disait "j’appartiens", simplement dans une locution. Donc on appartient à qui, à quoi, à un territoire, une communauté, une collectivité, à un monde, au cosmos. On est atome de ces ensembles de segments avec lesquels on fait corps et avec lesquels on vit, avec lesquels on est une force de proposition, d'idées, d'émotion, d'une sensibilité propre à chacun. On est individu dans un groupe et c'est la vie. Mon travail est principalement associé à la question de l'identité. Qui on est ? Justement dans quel ensemble ou dans quels ensembles ? Et qu'est-ce qu'on propose à ce qui nous est imposé ? Quel ordre nous est imposé ? C'est quelle réponse à l'ordre qui nous est imposé ? C'est faire des propositions, c'est faire s’implanter dans un territoire, un décor avec d'autres individus et faire preuve, quelque part, d’un peu de résistance. C'est le propre même de l'artiste, c’est d’être contre ordre.
Il me semble que c’est un peu ce que je propose à travers mon travail de figure qui est très associé à la question de mémoire et de la formulation de l'apparition d'image dans notre propre mémoire. Par ailleurs, dans un ensemble de travaux que j'ai pu effectuer au cours de mes années de travail, mon expérience dans les différents voyages que j'ai pu faire, j’ai pu raconter ma propre histoire en la reformulant dans des ensembles d'images que je pouvais fabriquer pour qu'elles deviennent universelles. Pour que chacun puisse se replacer devant ces images que je propose en m’extrayant de ma simple vision et idée personnelle mais d'intégrer aussi l'autre et donc de faire corps avec cet autre là, cet autre spectateur et voir quel dialogue il est possible d'instaurer.
Après, dans mon cinéma, il est plus question de rendre compte du travail des artistes que je filme, à savoir principalement des musiciens ou des orchestres et comment ils formulent leurs intentions, comment ils formulent leurs idées, leurs propres intérieurs. Comment moi je peux mettre ça dans un cadre et les proposer à nouveau à un autre spectateur. Comment on est acteur et chaînon de différentes transmissions entre spectateurs, acteurs et artistes d'une manière générale, et entre les individus d’une collectivité.
Sous-titres réédités par Tom Boudrot & Sarah Laly
Entretien : Baya Benlala-Fontaine & Simon Doutavès
LE REGARD DE...
Rémi Vinet, artiste photographe et réalisateur, né à Thouars en 1965, il est diplômé de l’École Nationale Supérieure de la Photographie, Arles, et de l’école de photographie Image Ouverte à Clarensac, où il a suivi l’enseignement de Serge Gal.
Le Silence des sémaphores est un film de 48 minutes en hommage aux disparus en mer Méditerranée, lequel associe musique et textes poétiques.
Figures est une série de photographies de portraits en noir et blanc caractérisée par son aspect très contrasté et granuleux.
Ver / cors #1 et #2 est une série de photographies de paysages en noir et blanc et en couleur.
L'œuvre de Rémi Vinet s’avère riche et plurielle, tant côté thématiques que côté supports. Si, une thématique transversale devait être évoquée, c’est bien le lien qu’entretient l’homme avec les images et leur rémanence qui serait souligné.
A travers ses photographies et son travail de réalisation, il tente de mettre en évidence ce que le voir physique, optique, ne peut collecter, i.e., l’énergie sensorielle qui enveloppe les images. Rémi Vinet emporte avec lui le spectateur dans cette chasse, cette quête. Il tisse pour ce faire une corrélation forte entre musicalité, point de vue, et texte poétique (cf. Le silence des sémaphores). Ici nous avons affaire à un corps indépendant et sensible, dont la musique est la voix, dont la réalisation est le corps, et le texte l’âme. Qu’il s’exprime à travers le rythme et les superpositions, Rémi Vinet nous présente les différentes strates du sujet. Le silence des sémaphores, initialement un hommage adressé aux migrants de la méditerranée, cherche à lever l’esprit du spectateur, à le lancer plus loin, au-delà du simple et seul témoignage.
La recherche de l’essence est primordiale chez Vinet, dans Figures, le genre du portrait est vrillé, il relève plus d’un acte de présence, telle une rémanence, un spectre, persistance de l’âme, d’un corps, d’un esprit. Le flou censé cacher, suggérer, voiler, sert, a contrario, de révélateur. Il dévoile l’image à travers la matérialité et le corps de la photographie elle-même. Nous ne sommes plus alors face à de simples portraits, mais plutôt devant des images de la lecture convoque le corps de la photographie (granulation), et l’essence d’un visage parti (esprit).
Un autre aspect de sa création est visible dans la série Ver / cors. Il tisse dans cette dernière un lien étroit entre la nature, l’espace et les formes, ce tout devient un ensemble organique vivant et autonome, lequel persiste dans le temps. Certaines compositions créent un équilibre entre corps céleste et terrestre, tandis que d'autres accentuent l’unicité du sujet à travers un arrière-plan fourni, organique et naturel. La nature est ici au centre de la recherche, à la fois sujet et décors. Les différents points de vue génèrent une harmonie entre les éléments naturels, corps hétérogènes, mais complémentaires.
La diversité du travail de Rémi Vinet démontre une richesse de formes, de regards, et d'apparition créant un ensemble cohérent et organique. A travers ses travaux les corps ne nous apparaissent non pas de façon figurée mais de manière abstraite, sensible, et polysémique. Alors nous fait-il apparaître ce que nous n’aurions peut-être pas vu sans lui.
Noé Prompt & Théo Gauthier